Le dernier des elfes

Par Pierre Jochaux du Plessix

Prix Jeunesse de la nouvelle – Lauzerte 2021

© Pierre Jochaux du Plessix, 2021

L’arme Machiavélique

2014. Paris, la ville des lumières. Un jeune homme à l’apparence banale n’est autre que… le dernier des elfes. Suite à une grande destruction, tous les vivants de cette espèce sont morts sauf lui. Il paraît avoir vingt ans , il en a mille. C’est de plus un magicien puissant, tout comme ceux de son espèce. Son nom est Verya Atamir. En elfique, cela signifie « héritier du courage ». Hélas , il a perdu espoir et a abandonné la culture elfique. Il mène aujourd’hui une vie normale parmi les hommes. Son espèce est son grand secret. Par ailleurs, il est professeur d’histoire dans un lycée. Mais son destin est plus grand encore …

*

La nuit était tombée sur Paris. La quasi-totalité des gens dormait. Seuls les chats, les chiens rodaient dans les coins sombres des impasses , ou des ruelles.
C’était le genre de lieu qui aurait inspiré la peur à n’importe qui.
Depuis son studio , Verya ronflait sur son canapé . On pouvait entendre au loin l’aboiement d’un chien. Mais rien de cela ne troublait le repos d’Atamir. Il était de ces hommes qui s’endorment et que rien ne réveille.
C’était un homme ( ou plutôt un elfe ) aux longs cheveux châtains, noués derrière la nuque. Des yeux verts comme l’émeraude, un teint pâle, voilà la description complète de Verya Atamir. Il avait seulement des oreilles plus longues que la normale, qui se terminaient en pointe. A cet instant, il avait un sourire aux lèvres. Sans doute faisait-il un rêve merveilleux dont lui seul connaissait le contenu.
C’est à ce moment que tout commença.
Le téléphone sonna. Son propriétaire grogna. La sonnerie ne s’arrêtait pas. L’elfe se réveilla , et jeta un regard à l’horloge. Minuit quarante.
Maugréant et pestant contre l’imbécile qui le dérangeait à une heure pareille , il prit l’appareil et dit d’une voix pâteuse :
-Allô ?
Une voix mielleuse lui répondit :
-Hára Mariesse.
Verya faillit bondir de son lit . Cette langue … venue de si loin… du plus profond de sa mémoire… de l’elfique ! Pourtant, c’était impossible ! Pas un mot de cette langue n’avait été prononcé depuis cinq cents ans! Il avait soigneusement dissimulé les vestiges de son peuple au cœur des montagnes Eldarin. Personne ne pouvait mettre la main sur un éventuel dictionnaire d’elfique.
La voix reprit en français :
-Je sais qui tu es.
Verya essaya de feinter.
-Écoutez … Il fait nuit , pouvez-vous rappeler demain ?
-Uito , hasta olóle ( Je veux te parler sérieusement )
Pour la première fois depuis des siècles, l’elfe répondit dans sa langue d’origine :
– Man le mer ? (Que voulez-vous ? )
– Vous êtes un elfe dont le savoir peut être utile. Votre magie, notamment. La magie noire est dévastatrice.
Comment savait-il tout cela ? Verya lui posa cette question.
– Vous avez laissé des traces dans l’histoire , répondit-il . Par exemple … le Livre Rouge .
Le Livre Rouge, recueil de toute l’histoire de la terre ancienne. Il avait survécu à la Grande Destruction , pour finalement tomber dans les mains profanes d’un humain.
L’elfe fit un geste vague dans l’espace .
– Peu importe. J’ai laissé mes pouvoirs s’évanouir. Je n’ai plus aucun rapport avec les elfes .
– Je peux vous faire un versement sur votre compte, voyez-vous. Disons … vingt mille euros ? Verya répondit sèchement :
– Je ne suis pas un mercenaire.
– Ne m’obligez pas à employer la force.
– Et puis , je ne travaille pas avec un inconnu.
– Oh , si ce n’est que ça , je peux arranger un rendez-vous.
– Non merci.
On pouvait deviner sans peine la colère de l’inconnu, qui cracha :
– Je vous aurai prévenu. Dix hommes sont à la porte de votre immeuble.
– Dites-leur de patienter un peu. J’arrive. Puis il raccrocha .
Alors, il fallait s’échapper. Il s’approcha de la fenêtre, ouvrit violemment les volets et détacha les battants. Il aperçut quinze mètres plus bas un homme qui était sur un banc, aux aguets . Non, il ne s’échapperait pas par l’extérieur. Il ne prit pas la peine de fermer sa fenêtre et ouvrit sa porte. L’ascenseur indiquait que quelqu’un montait. Inutile d’essayer de s’enfuir par l’escalier. Il fallait combattre.
Quand Verya s’était relevé de la souffrance causée par la perte de ses proches, il avait conservé son épée dans un coffre de bois. Aujourd’hui , il l’avait cachée sous son lit. Il s’en approcha et dégaina son épée. Il tressaillit à la vue de ses vêtements d’autrefois. Ils étaient comme neufs. C’était la tunique traditionnelle de son peuple , à la couleur brune.
Encore un souvenir qui lui pinça le cœur.

*

-Atamir ! Ouvrez ! dit une voix rauque avec un accent prononcé .
-Venez me chercher !
Les inconnus enfoncèrent la porte. Au bout de trois coups, elle céda et des hommes masqués s’avancèrent. Ils avaient tous des revolvers. Ils visèrent l’elfe, qui dévia des tirs avec son épée, d’autres avec sa magie. Trois hommes furent tués et deux autres assommés. Un tir érafla son oreille. Tendant la main , il maintint la balle en l’air et en se concentrant, la renvoya vers son expéditeur. Hélas ! cela faisait trop longtemps qu’il n’avait pas manipulé la magie. Il sentit une douleur violente à la nuque. Puis il sombra dans le noir.

*

Quand il se réveilla , Verya décida de simuler quelques minutes de plus le sommeil afin d’écouter ce qui se passait autour de lui. Ne percevant rien, il ouvrit les yeux. Il était allongé, en face de lui une bibliothèque, deux fauteuils et un homme. Probablement un garde . Il était sans doute dans une cellule.
Il grogna de mécontentement, et dit :
-Où suis je ?
À ses paroles, le garde coula un regard vers lui.
-A. Le chef vous attend . Vous avez de la chance, il a tenu à vous voir habillé dans vos fringues traditionnelles.
Effectivement, Verya était habillé avec ses vêtements d’autrefois, ceux qu’il avait dissimulés dans son coffre .
L’homme ajouta :
-Quand vous portez un chapeau , vous avez des trous pour vos oreilles ?
Il éclata de rire, seul. Il empestait l’alcool. Verya se concentra et utilisa sa magie pour projeter le garde vers le mur. Le choc fut rude. Les membres engourdis mais pas assommés, l’homme jura.Il attrapa son revolver, le pointa vers Verya en disant ;
-Tu vas payer ça . mon gars !
Il tira vers l’elfe, qui s’était entouré d’un bouclier magique.
-Cela suffit , dit une voix sèche .
Verya tourna la tête vers celui qui venait d’arrêter le conflit. C’était un homme dans les quarante- cinq ans, au teint pâle et aux cheveux grisâtres coupés court, vêtu d’une blouse blanche. Il se présenta :
– Professeur Arthur Tackder. Vous êtes à la base de Ashar , dans les montagnes de Suède.
Puis d’un air déçu :
– Pour un magicien , il a été facile de vous capturer.
– L’énergie bienfaitrice qui reliait les elfes entre eux a disparu, rétorqua-t-il. Je ne peux pas être aussi puissant qu’avant. De plus , je n’ai pas utilisé la magie depuis cinq cents ans.
– La magie blanche demande à un magicien d’être relié à ses semblables. Ce qui n’est absolument pas le cas pour la magie noire.
-Je ne vois pas ce que cela change à la situation actuelle.
-Oh cela change tout ! Vous savez la puissance que dégage un mage noir, alors imaginez une armée …
L’elfe commençait à voir où le professeur voulait en venir.
-Vous voulez faire de moi une machine de guerre !
– Si l’on l’entend d’un certain point de vue … ironisa Tackder.
– Mais pour transformer un elfe en orque, il faut que celui ait succombé au mal. Ce qui n’est pas, enfin je crois, mon cas.
– Mes scientifiques ont créé une puce électronique qui contrôle un cerveau par la commande vocale de son chef. En l’occurrence, moi.
Verya prit ses aises, et s’assit dans un fauteuil. Il étira les jambes d’une manière impolie qui choqua Tackder.
– Et même dans le cas ou vous réussiriez, je serais le seul orque à votre disposition puisque je suis le seul survivant de mon espèce.
– Oh, le seul, vraiment ? L’elfe releva un sourcil .
– Aux dernières nouvelles .
– Figurez-vous que j’ai en ma possession un elfe mort dont le corps est intact. Il est plongé depuis des années dans une solution chimique qui transforme son corps en orque. Il est truffé de mécanique et de câbles électriques. La puce est installée dans son cerveau . On a trouvé un moyen de le ranimer. Sans le savoir , il utilisera la magie noire pour que je parvienne à mes fins.
– Génial ! Vous comptez le réveiller comment ? Avec un air supérieur, Tacker annonça :
– La science, voyons ! Elle permet des miracles de nos jours ! Très pâle , Verya murmura :
– C’est du bluff ?
Sans répondre , Tackder sortit une télécommande de la poche de sa blouse . Il pressa un bouton, qui enclencha à distance un engrenage. Un pan du mur s’ouvrit sur une pièce sombre séparée par une vitre. On pouvait y voir des hommes en blouse qui observaient des écrans, prenait des notes sur des cahiers. D’autres mélangeaient des substances colorées dans des éprouvettes. Au centre de cette salle, il y avait une cuve contenant un liquide bleu pâle. Elle mesurait environ deux mètres de haut, pour un mètre de diamètre. À première vue, rien de plus banal pour un laboratoire. Mais quand on voyait la chose qui flottait dans la cuve, on ne pouvait pas s’empêcher de frémir d’horreur. C’était effectivement la chose la plus immonde que Verya avait pu voir dans sa longue vie. C’était un corps à l’apparence mi-humanoïde, mi-robot, mi-orque. Ce monstre possédait le visage d’un humain, dont on n’apercevait quasiment rien, son crâne étant dissimulé par un assemblage de câbles et de circuits électriques. Il avait la bouche couverte par un respirateur
– Son nom est Matricule 001, le présenta le professeur. Le premier d’une longue génération de vaillants soldats.
– C’est un monstre . Pour rassurer la population, j’aurais pensé à autre chose , ironisa l’elfe . Tackder ne releva pas la remarque.
– C’est fini l’armée , grâce à ma nouvelle arme. Saviez-vous, dit-il en se tournant vers son auditeur, qu’il ne fait qu’une bouchée de vingt hommes en cinq minutes ? Et en bonus, il s’en sort quasiment sans aucune blessure C’est un véritable bijou de technologie ! Imaginez son prix !
Atamir fit la moue.
– Pas convaincu ?
– Le bien l’emporte toujours sur le mal . D’un geste théâtral , Tacker dit :
– Quoi ? Je serais le mal ? Vous ne connaissez même pas mes intentions !
– C’est bien là le problème .
– Mes intentions, dit-il en soupirant, sont les suivantes. Le monde doit être gouverné par des personnes plus puissantes que les autres, afin de les protéger.
– C’est ce que nous faisions en secret , il y a longtemps de cela. Tackder appuya son index contre le torse de l’elfe.
– C’était une erreur, répliqua-t-il. Vous n’étiez pas les plus puissants. Seul le lien qui circulait entre ceux de votre espèce vous donnait force , courage , et puissance. Mais ce temps est révolu. Les elfes n’ont pas été capables de survivre à la Grande Destruction. Sauf un, vous . Vous êtes un obstacle à la montée du mal au pouvoir, pour accomplir le destin de l’univers.
– Mais à quel prix ?
– Celui qu’il faudra. La moitié de la Terre, s’il faut. Dans tous les cas, la Terre doit renaître pour laisser place aux orques.
– Et vous dans tout ça ?
– Ça, c’est personnel.
– Si les orques accèdent au pouvoir , il vous tueront.
-Je le sais bien.

Verya releva un sourcil. Le professeur était-il fou ? Celui-ci remarqua sa perplexité et lui dit :
– Vous aurez ( il regarda sa montre ) environ deux heures pour méditer sur mes paroles. Après cela, vous assisterez à une démonstration du pouvoir de ma créature. Vous lutterez contre l’orque afin de voir lequel est le plus fort pour après en faire des clones.
Se retournant vers les hommes armés :
-Emmenez-le.
L’elfe fut poussé jusqu’à sa cellule. Tackder regarda son départ. Satisfait, il contempla encore une fois le monstre qu’il avait créé.

*

La cellule était sombre, tout comme les pensées de Verya. A genoux au sol, yeux fermés, il méditait.
Étrangement, il se sentait pris de remords d’avoir abandonné son peuple. Il avait cédé à la panique. Quel autre choix avait-il ? Étant le seul survivant , la progéniture des elfes était perdue à jamais.
Quelle injustice ! Il avait protégé avec toute la puissance de sa magie le temple de son peuple. Le déluge qui s’abattait sur Eldarin avait, à cette époque déjà, tué bien des elfes. A l’apogée du cataclysme, Verya était -ainsi que d’autres magiciens- sur les marches du temple, déviant avec sa magie les éclairs de plus en plus nombreux. Il avait vu ses amis tomber à ses côtés, les uns après les autres . Lorsque ses parents tombèrent, il s’aperçut qu’il était le dernier encore en vie. Le cri de douleur qu’il avait poussé sur le corps de ses frères avait fait fuir à jamais l’orage de ces lieux. Il n’eut que quelques secondes pour dire adieu à ses proches mourants, atteints par la foudre. Malgré leur magie de défense, l’orage avait brûlé leur chair.
Un adieu. Et plus rien. Voilà les images qui hantaient les rêves de Verya, accompagnées par les voix de son père Eqras , de sa mère Magess , de son frère Forias , de son meilleur ami Edoras qui disaient : « Pourquoi nous as-tu abandonnés ? » ou « Tu nous a laissés mourir ». Quel destin macabre ! Être hanté par les voix de son passé, c’est déjà dur pour un mortel. Mais pour un elfe, cela signifie pour l’éternité. Ou presque. Car un elfe vit environ dix mille ans.
C’est un choix facile en soi. Être torturé pendant encore neuf mille ans ou accepter l’héritage des elfes et ainsi vivre en en esprit avec ceux de son espèce. Ce serait avancer dans la lumière, avant de mourir en paix et de retrouver les êtres chers dans La Grande Sphère de Lumière, le paradis des elfes.
Que faire ? Accepter un héritage vieux de tout un peuple impose une responsabilité écrasante. Verya était au plus profond de ses réflexions quand une voix bourrue le tira de sa transe.
– Debout . Le chef vous attend pour l’expérience. Atamir se leva. Il sourit.
Sa décision était prise. Il était le dernier de son espèce, soit. Il était, est et restera un Elfe. Pour toujours. Rien ne pourra changer sa décision.
En paix avec lui même et rempli d’un bonheur qu’il n’avait pas senti depuis longtemps, il suivit docilement les hommes de main de Tackder.

*

Les scientifiques étaient en proie à une violente excitation. Cela faisait des années qu’ils travaillaient à créer une arme létale.
Le Docteur Jonh Strex était, quant à lui, sur ce projet depuis dix ans. Il en avait aujourd’hui trente-cinq. Il était de taille moyenne, avait des cheveux coupés courts bruns. Pendant ses études au centre du professeur Tackder, dont il avait été le protégé, il avait utilisé toutes ses connaissances pour aider dans son supérieur sa tâche. Et aujourd’hui , il allait voir le monstre en action. Dix volontaires allaient l’affronter. Ils se croyaient supérieurs à lui, car ils possédaient des armes. Quels naïfs !
Ils allaient mourir. Ils espéraient sans doute impressionner Tackder par ce moyen. Mais celui-ci se moquait éperdument de ses hommes . Ils étaient des ivrognes.
Strex était un passionné par son métier. Quand Tackder lui avait proposé de recréer un orque, il avait immédiatement accepté. Cela lui avait coûté des années de travail mais le fruit de ses efforts en valait le coup.
Ils avaient ressuscité un elfe ( ou un orque ? ) vieux de cinq cents ans.
Le Docteur leva les yeux quand il entendit des pas. C’était Atamir qui venait d’arriver. Souriant, il alla lui tendre la main
– Docteur Jonh Strex , pour vous servir. Verya refusa de lui serrer la main.
– Vous n’êtes pas vraiment bavard.
– Je sais.
Strex passa.
– Nous allons donc commencer le test.
Il alla à une console activa un micro et annonça dans toute la base :
– Ici le Docteur Strex. La phase un du test va commencer. Je répète : la phase un du test va commencer. Professeur Tackder, nous vous attendons au laboratoire.
Quelques secondes plus tard , Tackder les rejoignit.
– Que l’expérience débute, dit-il , impatient. Sortez la créature de la cuve.
Strex abaissa un levier de la console. Tous les hommes présents firent silence et fixèrent la cuve. Une écume dissimula le corps pendant quelques secondes. Un sifflement strident se fit entendre. Souffle coupé, tous virent le verre de la cuve pénétrer dans le sol et la créature relever lentement son visage masqué. Sa bouche lâcha un grognement.
Tous ressentirent un frisson, hormis Tackde , Strex et Verya. Nullement intimidé , Tackder dit d’une voix forte :
– C’est bien. Très bien . Tu vas affronter des hommes. Armés. Déchaîne ta puissance. Un sourire mauvais sur le visage , il ajouta :
– Tu peux les tuer.
Un son de satisfaction sortit de la bouche du monstre.
Les hommes qui allaient affronter la créature émirent un petit rire, convaincus de leur supériorité. Verya, quant à lui, observait avec attention le duel qui allait avoir lieu.

*

Tackder avait préparé pour le test une plateforme d’environ sept mètres de longueur et de largeur, entourée par du plexiglas. Les hommes qui s’étaient portés volontaires y entrèrent, en rêvant déjà de leur supposée victoire. Le Professeur annonça au monstre :
-Tu peux entrer, dit-il en désignant la plateforme. Verya s’adressa au professeur en disant à voix basse :
– Vous savez qui va gagner ?
– Bien sûr. C’est évident, n’est-ce pas ? répondit Tackder sur le même ton.
– Et vous les laissez mourir comme des vulgaires mouches ?
– Inutile de s’apitoyer sur leur sort. Ils étaient volontaires. Voyant que l’elfe ne répondait pas il ajouta en souriant :
– Prochain combattant : vous.
Malgré ce qu’il en laissa paraître, Verya n’était absolument pas surpris par cette décision Tackder compta :
-Trois , deux , un …
Il laissa ses paroles flotter un instant et lâcha :
-Allez y !
Les minutes suivantes furent un massacre : la créature ne laissa aucune chance à ses adversaires. L’orque étranglait comme s’il tenait un simple chiffon. Il utilisa la magie noire en envoyant des éclairs noirs. Les hommes hurlaient et certains s’évanouissaient de terreur avant même d’être tués par le monstre. Du sang giclait contre la paroi de verre. Les corps des hommes morts « n’étaient « pas beaux à voir », selon Strex. Les derniers hommes moururent les uns après les autres. L’ultime survivant hurla au Professeur :
-Me laissez pas crev… Arghhhh !
L’orque lui brisa la nuque d’un coup de main.
Sans aucune réaction et malgré le silence pesant , Tackder dit simplement :
-Enlevez les corps et préparez le terrain pour le prochain duel . Tel fut le seul effet que cela lui produisit.

*

Les scientifiques firent divers branchements à plusieurs endroits du corps de l’orque afin de le
« recharger », comme l’expliqua Tackder à Atamir. Ils complétèrent le traitement par des piqûres intraveineuses. Pendant ce temps , Verya réfléchissait à un moyen de vaincre son futur ennemi. Le monstre était, certes, puissant, mais jusqu’à quel point ?
Comme s’il discernait ses pensées, Strex s’approcha et lui dit :
– Il possède différents points faibles. Les griffes de ses pieds, notamment, ne sont pas totalement formées. Avec un peu de bonne volonté, vous pourriez le terrasser en frappant à cet endroit précis.

Les yeux d’émeraude de l’elfe le fixaient, inquisiteurs.
– Pourquoi me dites-vous cela ?
-Pour vous aider à perdre d’une façon plus digne . Verya ne releva pas cette remarque provocatrice .
Tackder, qui assistait quelques secondes auparavant à la préparation de l’orque, rejoignit Strex et Verya et dit à ce dernier :
-C’est à vous
Il fit signe à un garde qui hocha la tête et sortit du laboratoire. Il revint quelques secondes plus tard, un objet long et fin enveloppé dans un linceul blanc. Il le tendit à Verya :
-Votre épée.
L’elfe laissa tomber le tissu et retrouva son arme . Son poids dans sa main droite lui apportait un certain réconfort. Quelque chose de rassurant.
Pendant que l’orque était sous l’emprise de piqûres intraveineuses, Verya en profita pour examiner son épée. Elle possédait de belles gravures sur sa lame argentée aux reflets bleus, particularité des armes enchantées et son manche était incrusté de trois pierres précieuses : un rubis, l’autre de diamant et la dernière d’argent. Il les avait choisies car chacune contenait une énergie semblable à la sienne. Il fit quelques mouvements pour s’échauffer. Bien qu’il n’ait pas pratiqué l’escrime depuis plus de cinq cents ans, ses mouvements restaient fluides. Il enchaîna des mouvements de plus en plus impossibles à suivre avec l’œil. Tackder, qui l’observait depuis quelque temps déjà, lui annonça soudainement qu’il valait mieux garder son énergie pour le duel/ Verya suivit son conseil.
-Début du combat dans deux minutes, annonça Strex. Tackder approuva d’un simple hochement de tête.
L’orque fut mis en place sur la plateforme, on débrancha les quelques fils qui avaient été enfoncés dans sa peau. Des étincelles crépitèrent mais ne le brûlèrent pas . On lui donna une hache à deux lames.
-Allez y.
Verya monta sur l’espace prévu pour le duel. Il maintint son épée à deux mains et attendit patiemment que l’orque prit place devant lui.
-Le duel peut commencer.
S’ancrant au plus profond de son pouvoir, l’elfe maintint une concentration extrême.
Ce fut un interminable jeu de regards. Aucun des deux ne se décidait à engager le combat. Finalemen , l’orque choisit de débuter le duel… en projetant une vague d’éclairs noirs que Verya stoppa d’une main. Il les retourna vers son adversaire.
L’elfe tira son épée et engagea le duel physique. L’orque ne semblait pas ressentir la fatigue ni lui non plus. Les coups se suivaient, sans pause, laissant à peine aux combattants le temps de respirer entre deux chocs. D’un seul trait, Atamir envoya épée et spirale d’énergie vers le monstre, ce qui le laissa au sol quelques instants. L’orque, comme délivré du pouvoir qu’exerçait Tackder sur lui, dit d’une voix grave, sifflante et déformée par le haut-parleur :
-Votre bande pitoyable de gardiens de la paix n’empêchera pas le destin des orques s’accomplir ! Surpris d’entendre pour la première fois la voix de son ennemi, Verya ne fut pas distrait pour autant.
Désormais, c’était un duel qui allait au-delà des technologies médiocres de tous les scientifiques de la base. Il était la revanche d’une bataille qui n’était pas close. Cela faisait des siècles mais le temps ne comptait plus. Les uniques survivants de deux espèces autrefois, et toujours, ennemies désiraient tous deux la fin de l’autre .
Le pouvoir de la puce électronique intégrée dans le cerveau du monstre faisait encore effet. Indirectement, la créature se croyait libre et seul maître de sa volonté.
La hache du monstre tournoyait, fendait l’air et donnait des coups de plus en plus violents sur l’elfe, qui reculait, contrairement à l’orque qui prenait visiblement l’avantage. Gonflé d’orgueil et convaincu de sa toute puissance, le monstre se laissa distraire. Et Verya trancha en deux l’arme de son ennemi. Le métal tomba au sol et grâce à la magie de Verya, se brisa en d’innombrables éclats.
La fureur de la créature n’avait plus de limite. Tremblant de colère , celle-ci leva les bras et hurla :
-A terre ! Agenouille toi devant ma puissance !
L’elfe se sentit irrémédiablement attiré vers le sol. Il chuta vers le sol et ne put plus bouger ses bras d’un millimètre.Son épée fut projetée quelques mètres plus loin. Le sort qu’avait jeté l’orque le tirait vers le sol de plus en plus fort. Ses poumons se rétractèrent. Il n’arrivait plus à respirer.

*

Tackder , voyant la scène , dit à Strex :
– Nous savons qui est le plus puissant. Préparez vos collègues à créer des clones de la créature .

*

Verya étouffait. S’il ne faisait rien, il allait mourir. En soi , cette idée était tentante. Il pourrait retrouver sa famille, son peuple dans la Grande Sphère De Lumière. Mais la réalité le rattrapa. Laisser le monde aux commandes d’un monstre, c’était un crime.
Il visualisa le crâne de l’orque. Utilisant son don de manipulation d’un objet à distance, il lui arracha brutalement le masque qui couvrait son visage. Le sort s’évanouit, ce qui permit à Verya de se relever. Il aperçut la créature qui, tel un ver, s’agitait dans tous les sens. Plus loin, au sol , le masque arraché baignait dans une flaque rouge sang.
Fou de douleur, l’orque le cherchait désespérément. Il sentit le regard de l’elfe sur lui et tenta d’utiliser un sort qui l’anéantirait définitivement. Mais il souffrait trop pour se concentrer. Cette fois , il allait mourir . C’était inévitable .

*

Respirant à fond, Verya retrouva progressivement son souffle. D’un geste de la main, il détruisit le masque de l’orque et fixa son ancien porteur. Le monstre tourna son visage meurtri vers lui.
Et Verya le reconnut.
Son frère.
Forias.

*

Atamir s’en souvenait parfaitement bien.
Le corps baigné de sang , les derniers mots de son frère :
-Verya … Mon ami … et frère .
Les longs cheveux blonds qui lui tombaient sur les épaules. Et la mort.
La désolation.
Le désespoir.
Et maintenant, après cinq cents ans , la colère.
La colère contre celui qui avait osé faire de Forias un orque Tackder.

*

En reconnaissant son frère , Forias, pris d’une manie étrange, se tint la tête en hurlant. Dans son esprit, deux forces se battaient : la puce, qui avait fait de lui un orque … et l’elfe qu’il avait été.
Verya ne savait que faire pour venir en aide à Forias. Au vrai Forias … pas à l’orque créé par Tackder et Strex. Il y avait deux choix : laisser son frère mourir dans la lutte qui avait lieu dans son esprit ou bien extraire la puce de son crâne. Mais s’il accomplissait cette opération, l’être qu’il avait tant regretté allait mourir une seconde fois : la blessure que cela causerait le tuerait. Mais comment Forias avait-il refait surface parmi le vide froid de l’esprit de l’orque contrôlé par Tackder? C’était sans nul doute une preuve que la magie surpassait la technologie. Mais les chances étaient à peu près égales que Forias s’en sorte vivant ou qu’il décède.

*

Tackder, complètement affolé, courait d’un bout à l’autre du laboratoire en tempêtant :
– La puce était pourtant fonctionnelle ! Maintenant, le projet sur lequel nous travaillons depuis si longtemps est fichu !
Strex, quant à lui, demanda :
– Que fait-on ?
Fulminant , le professeur lui répondit :
– Vous le savez bien !
Regrettant déjà toutes ses années de travail inutile, Strex s’adressa aux hommes armés :
-tuez-les.

*

Devinant les intentions de Tackder, Verya attira son épée à sa main. Mais non. Elle serait inutile face aux balles que tireraient bientôt les mercenaires armés. Il pouvait seulement utiliser la magie. Le plexiglas qui entourait la plateforme commença à pénétrer dans le sol.Il n’y avait à présent plus de limite physique entre les hommes armés et Verya.
Entourant son frère et lui d’un bouclier magique, il attendit, concentré, que les premières balles soient tirées. Elles ricochèrent contre la demi-sphère d’énergie. Sentant les déplacements de ses ennemis , Verya effaça le bouclier protecteur. En rechargeant ses mains de puissance, il déclencha des spirales magiques qui assommèrent ses adversaires. Il se retrouva face à Tackder, à Strex et tous les autres scientifiques de la base qui l’observaient en silence.
Seuls les gémissements de son frère perçaient ce calme.
Sachant qu’il ne pouvait pas aider Forias, Verya sauta de la plateforme et se planta devant Tackder.
– Le monstre , dans tout ça , c’est vous. Vous avez ressuscité mon frère pour en faire une arme. Quel profit avez-vous tiré de tout ça ?
– Le règne d’une puissance absolue sur la Terre aurait été son meilleur destin. Forias, comme vous l’appelez, aurait été , grâce à sa puissance, le maître de la Terre. Je l’aurais aidé et manipulé par la puce. Mais en moins de cinq minutes, vous avez détruit le rêve de toute ma vie. Vous en paierez le prix. Malgré toute sa puissance, votre frère ne sortira pas vivant du duel mental qui l’oppose à mon orque.
A ce moment, Verya entendit un râle qui sortait de la bouche de Forias. Celui-ci se releva. Prudent , Verya murmura :
– Mon frère ?
L’orque se précipita sur lui. Il avait triomphé de Forias dans leur duel spirituel.
Atamir comprit que la seule solution qui lui restait était d’arracher la puce à son frère. Il fut alors soulevé dans les airs par l’orque, qui allait l’étrangler. Suffoquant, Verya vit sur le crâne de l’orque une bosse, formée par la puce.
La puce
Tendant la main, il invoqua sa magie et tira par sa puissance le bout de métal qui contrôlait son frère.
Forias s’écroula au sol, Verya également.
La tête de Forias se releva . Sa bouche murmura :
– Verya …
Et il s’évanouit.

*

Tackder ordonna à tous :
– Évacuation immédiate ! L’hélicoptère est sur la piste d’envol. Mais avant, tuez-moi ces deux-là, dit il en pointant Verya et Forias. Cette fois-ci pour de bon.

*

Verya fut plus rapide . Il savait déjà que les hommes en noir allaient tirer sur son frère en priorité car il était le plus musclé. Ils le craignaient après avoir vu leurs semblables mourir par lui.
Verya rengaina son épée. Il invoqua sa magie et fit tomber les armes de ses adversaires au sol. Toutes, sauf celle d’un homme qui résista. Sa mitraillette tira mais la balle dévia vers une cuve de pétrole. Celle-ci prit feu. Il eut juste le temps de voir Strex s’enfuir, Tackder faire de même par une passerelle et les flammes les dérobèrent à sa vue.

*

La base était en feu.
Tackder s’enfuit vers la piste de décollage. Il glissa et chuta vers le sol. Il parvint finalement à s’agripper à la passerelle. Il s’y accrochait désespérément mais redoublait d’angoisse quand elle grinçait . A chaque instant elle pouvait lâcher.
Plus haut , Verya traînait le corps de son frère vers un hélicoptère. Il entendit les gémissements du professeur quelques mètres en dessous. Après avoir allongé Forias, éveillé mais trop faible pour bouger, il dégaina son épée, sauta et atterrit sur la passerelle instable, ce qui fit sursauter Tackder.
– Pourquoi avoir fait tout cela ? Vous ne m’avez pas tout dit !
Les flammes montaient , se propageaient. Elles atteignirent bientôt la cuve contenant le liquide médical, qui explosa, ce qui projeta des jets de liquide acide et bouillant. L’un deux toucha Tackder à la jambe droite, qui s’enflamma. Il poussa un hurlement de douleur .
– Pourquoi ? hurla Verya .
Les flammes atteignaient le torse du professeur. Le visage déformé par la douleur, il murmura :

– Ce monde est celui des orques. Il était à eux depuis le début. Si des humains s’y sont installés, ce sont leurs esclaves. Ce sont des créatures inférieures. Ton frère avait entièrement le pouvoir nécessaire pour me tuer. Mais en le contrôlant par la puce, j’avais trouvé le moyen de le manipuler, une fois qu’avec son armée, ils auraient conquis leur monde.
Et il se laissa tomber dans les flammes, achevant ainsi sa vie et en mettant fin au supplice. Agenouillé au sol, Verya médita quelques instants sur ces derniers jours.
Alors, il entendit une voix claire dans son esprit :
-Venez. Verya. Forias. Pour l’éternité. C’était la voix de leur père.
Forias avait réussi à rejoindre Verya, en titubant. Il le prit affectueusement par l’épaule et lui dit d’une voix tremblante :
-C’est fini, Verya.
Celui-ci rengaina son épée. Il virent alors une forme se dessiner devant eux : leur père Eqras. Il était vêtu d’une longue aube blanche, ses cheveux blonds lui descendaient en cascade sur les épaules.
Il leur annonça en leur tendant les mains :
-Venez avec moi. Nous nous retrouverons enfin. Pour l’éternité.
Verya et Forias prirent chacun une main de leur père. Un halo se forma autour d’eux et ils disparurent.

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