Inciser la peau des faits et mettre à jour ce qui sous-tend le réel, ce qui le construit : une constellation d’intentions, de tensions, de pensées, de rêves et de nervures psychologiques pour relier et maintenir cet univers.
La date du début de mon exil coïncide avec les premiers temps où, au sortir de l’enfance, j’ai pris conscience de ce que j’avais un corps et que loin de le faire exulter, il s’inscrivait dans le réel comme une manière de punition. Avant, et peut-être l’ignorais-je, j’étais enraciné au sentiment de ne pas être limité par un corps que je pourrais qualifier d’étranger, ni que la réalité se misse à dresser en tous points un esprit de barrières. J’ai passé des années à cher – cher par tous les moyens à soulever ces barrières. Certains jours j’y parvins, d’autres furent couronnés d’insuccès. Mais je me demande toujours si le moyen le plus sûr d’être en paix consistet-il à fuir ou à épouser le réel ? J’ai cherché une réponse auprès de maintes personnes, et notamment des littérateurs. Simone Weil évoque le danger de l’être qui s’est abaissé jusqu’à la matière. J’ai toujours désobéi à la marche du monde, à ce que l’on ap – pelle son ordonnance, non pas que je fus réfractaire aux lois de la société, mais plutôt à un certain état des choses assignées à être vécues comme indignes, et ce même, lorsque je me suis plié à la règle qui veut qu’au travail, l’on se doive d’être non seulement à la hauteur de la tâche qui nous a été inférée, mais plus encore, à être performant, manière pernicieuse d’être éconduit. J’ai parfois été un employé zélé, appliqué, consciencieux, cherchant dans la collégialité d’une entreprise à ne pas me faire remarquer pour mon originalité, à rentrer dans les rangs, craignant que ma vraie nature ne dépassât et ne sortît du cadre établi.

Ed. Tarmac – 13/04/2023

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