de Anouar Benmalek

Sélection Prix Jeunesse – Lauzerte 2013
Nouvelle publiée dans un recueil collectif Les enfants de la balle (Lattès)

17h13

Tout le monde hurlait autour de lui. Effrayé, il se demanda ce que signifiait ce vacarme. Son expression devait être si alarmée que quelqu’un lui tapota le bras d’un air apitoyé.

– Eh, ce n’est rien, Bachir, juste un but ! Tu dors ou quoi ? Ça fait bien un quart d’heure qu’on l’attend, ce foutu but. Mais je ne sais pas ce que fiche l’arbitre…

L’homme hagard guigna son voisin qui choisit de partir d’un éclat de rire. Une perplexité grandissante envahissait son esprit : pourquoi le rieur l’appelait-il Bachir ; et pourquoi le visage jovial s’était-il d’abord assombri lorsqu’il l’avait dévisagé ?

– Mais… je m’appelle… je m’appelle… grogna-t-il sourdement avec un début de protestation agacée.

Puis sa perplexité se transforma soudain en inquiétude. Baissant les yeux, il examina la manche de son manteau avec une trop grande attention. Il n’arrivait pas à se rappeler son propre prénom. Il fronça les sourcils, banda son cerveau. En vain. Comme s’il raclait l’intérieur d’une boite de conserve vide.

– C’est quoi, ce truc ?

  Depuis quand oubliait-on le prénom qui vous sert de seconde peau depuis qu’on est né ! Il passa sa langue sur ses lèvres. Elles étaient sèches, comme s’il avait laissé sa bouche ouverte trop longtemps.

– Que m’arrive-t-il, nom de Dieu ?

Le brouhaha était tel que personne ne l’entendit, surtout pas son voisin qui braillait à qui mieux mieux que l’arbitre ferait mieux d’aller vérifier si sa femme ne le trompait pas avec les gendarmes du village au lieu de refuser un coup franc aussi évident. Quelqu’un lui cria de se la fermer parce que des porteurs de képis, assis à deux rangs derrière lui, assistaient eux aussi au match et qu’ils pourraient souhaiter vérifier par eux-mêmes la virginité de son derrière.

– Qu’est-ce que je fous ici ? murmura l’homme d’une voix blanche.

Affalé sur son banc, il avait levé les yeux et contemplait, hébété, l’étendue poussiéreuse entourée d’un grillage qui servait de… de quoi ?

On aurait dit qu’un coup de gourdin lui avait été asséné. Il aspira une grande goulée d’air, en ayant l’impression que l’air se refusait à lui.

– … Stade… siffla-t-il, épouvanté, en se rendant compte que si le mot lui avait glissé des lèvres, il ignorait quand même à quoi celui-ci se référait : aux hommes en short qui couraient sur le terrain, à l’objet rond qu’ils paraissaient se disputer, au sandwich que lui-même tenait à la main ou à quelque chose d’autre concernant cette foule qui s’égosillait de plus belle.

Il gémit de peur, en silence cependant. Il se passa la main libre dans les cheveux. Il pensa :

« Des cheveux, ça s’appelle des cheveux », tâta le haut de son crâne, sentit un soupir de soulagement se former au fond de sa poitrine, avant que, de nouveau, ses côtes ne se rétractent : « Et le nom de… ».

Il sut qu’il aurait dû savoir, que ce n’était pas normal d’ignorer la dénomination de l’organe dont le contenant lui faisait si mal à présent. La panique le gagnait petit à petit, provoquant une intense envie d’uriner.

Comment capturer ces vermisseaux sonores qui détalaient à toute allure au lieu de se soumettre docilement à l’appel de sa langue ?

Est-ce que je sais encore parler ?

Mais la question s’était érigée dans sa tête comme un bloc obscur, glaiseux, démuni des arêtes rassurantes du langage. « Bachir » résista à la tentation de mendier des explications au grand gaillard qui, de temps à autre, lui décochait un regard en biais à la fois préoccupé et attentionné. Lorsqu’une action intéressante se passait sur le terrain, celui-ci n’hésitait pas à attirer son attention en le touchant à l’épaule.

 On se connait ? questionna muettement l’homme au manteau, sans oser prononcer les mots qu’il craignait de ne plus trouver. La réponse était évidente pour lui : Non, bien sûr ! Narquois, un instinct animal lui objecta que cela était impossible : l’individu était trop familier avec lui. Tiens, la preuve : le gringalet aux cheveux frisés lui tendait une bouteille d’eau, après avoir bu lui-même au goulot.

– Pourquoi as-tu mis ce manteau de chiotte, Bachir ? Tu l’as boutonné jusqu’au cou. On est en Afrique ici, pas en Sibérie ! Regarde, tu sues.

Un peu grondeur, l’étranger lui passa un doigt sur le front humide — tout en songeant avec amertume: « Et ta belle tête à la Omar Sharif, qui ne te sert plus à grand-chose… » :

– Tu vas finir par tomber malade, mon coco. À la fin du match, on ira chez toi et tu te débarrasseras de cette vieillerie. Et puis, rase-toi, ça ne te va pas, ces petits poils de rien du tout qui te collent au menton !

Bachir, je m’appellerais Bachir ? Et pourquoi je porte ce manteau ?

Le son « manteau » avait une consistance tout à fait ordinaire, affable même, alors que ce « Bachir » dont l’affublait l’envahissant voisin sonnait étrangement à ses oreilles et ne pouvait par conséquent prétendre le décrire, lui ! Non, il n’était pas un « Bachir », il était… il était…

Il retint les larmes qui, subitement, se pressèrent aux commissures de ses yeux. Sa main fouilla distraitement dans une des poches du manteau, peut-être pour en retirer un mouchoir.

– Qu’est-ce… ?

À travers la doublure de la poche, sa main toucha une surface métallique. Presque malgré lui, ses doigts entreprirent d’explorer le curieux relief. L’homme devina immédiatement qu’il ne devait pas afficher de surprise : il avala avec difficulté sa salive car il réalisa que ce n’était pas son cerveau, mais une partie au centre de son corps (Il existe peut-être un muscle de la peur et de la mémoire mêlés, un machin logé probablement au plus près de l’estomac et aussi long que l’intestin, eut-il le temps, curieusement, de pérorer) qui lui intimait de se tenir coi : une chose horrible était collée contre son corps, susceptible de causer un malheur sans nom.

Sans nom, justement.

À lui et à ceux qui l’entouraient.

Mais pourquoi ?

Tu t’en souviens, andouille ?

Une bouffée de mémoire assaillit son cerveau comme un couteau se fichant droit dans la chair molle de sa cervelle. Non, ce n’était pas possible, il ne pouvait avoir projeté ça ! Il renifla avec dégoût : on aurait dit que son nez se cabrait devant la mauvaise odeur s’échappant de l’intérieur de son crâne, semblable à celle d’une poubelle dont on a ôté le couvercle. Et ça serait lui, le monceau d’ordures ?

– Mon Dieu… Je…

Un corner venait d’être accordé. Le juge de touche fit reculer le joueur. Le ballon décolla tel un boulet, rebondit sur un poteau, avant d’être renvoyé par un défenseur vers le milieu du terrain …

Mot après mot, comme si de sales garnements avaient allumé une suite de pétards dans sa caboche, des bribes de réalité déboulèrent en désordre : il assistait à un match ; Nourreddine, le gaillard bonasse à côté de lui, était son meilleur ami ; oui, lui-même s’appelait vraiment Bachir. On l’avait renvoyé de son travaildepuis quand ?, la question demeura sans réponse — car il était très malade.

D’une maladie de la mémoire : de ça, il s’en souvenait parfaitement. N’oublie pas que tu oublies, ricana-t-il silencieusement.

Et il y avait eu ce matin la rencontre avec l’émir.

Mais ce n’était pas vraiment un émir, seulement un ancien taulard reconverti en imam, qui officiait maintenant dans la mosquée inachevée et qui prétendait ne rien ignorer des intentions de Dieu.

Mais lui-même, Bachir, (il se donna intérieurement du Bachir comme si ce prénom était devenu un titre de noblesse), adorait le football, et le match opposait…

Affolée, sa main chercha le carnet pense-bête entouré d’un élastique. Le médecin lui avait conseillé de noter sans attendre les pensées qui lui venaient en tête, pour pouvoir les relire après un épisode d’absence. Sur la couverture, il y avait quelque chose d’écrit au feutre rouge et souligné à plusieurs reprises : Ne faire lire à personne ! En aucun cas ! Personnel ! Les yeux de l’homme brillèrent quand il réalisa qu’il parvenait à lire — et à comprendre ! — l’énigmatique injonction servant de titre. Il ouvrit le calepin, entreprit de parcourir la première page. Ses traits se crispèrent : Souviens-toi que tu aimes Yasmine.

Son cœur fit un bond.

Yasmine.

Mais oui, il aimait Yasmine, sa Yasmine, plus que sa vie, je te le jure ! Alors comment ce truc infernal avait-il atterri contre sa poitrine ? Du coin de l’œil, il lorgna du côté du groupe des cinq gendarmes censés veiller à la sécurité du stade communal, mais qui s’époumonaient avec aussi peu de retenue que des supporters de base. Le plus corpulent avait même été un camarade de classe à l’école primaire.

Donne-moi la réponse, crétin de cerveau, explique-moi ce qui se passe ! protesta-t-il intérieurement. Comment oses-tu refuser d’assurer le boulot pour lequel tu as été créé ?

Puis, brusquement

[…… ]

 

***

17h29

– C’est impressionnant, on dirait qu’on a abaissé un interrupteur électrique dans sa tête.

Le regard plein de tristesse, Nourredine rectifia :

– Moi, je parierais plutôt qu’il y a un fouillis d’interrupteurs dans son cerveau. Quand tous sont en position marche, mon ami se souvient absolument de tout. Tu en abaisses un, et il devient incapable de te dire ce qui lui est arrivé les minutes précédentes. Tu en éteins un autre, et le voilà qui ne souvient plus ni de son enfance ni même de sa propre mère. Un troisième, et il devient incapable de soutenir une conversation parce qu’il n’a plus de vocabulaire. On dirait que l’électricien qui se charge de ces bricoles-là dans les neurones est parti en vacances pour longtemps !

– Pardi, il a dégoté un visa pour l’Europe, alors il ne reviendra de là-bas que si on l’expulse avec des coups de pied aux fesses !

Ils rirent tous les deux, sans joie, de leur plaisanterie stupide. Nourredine soupira :

– Ces saletés d’absences lui arrivent de plus en plus fréquemment. Tu vois ce carnet qu’il serre dans sa main: il note tout, son nom, son adresse, les noms des gens qu’il aime, des listes de mots, etc., et il relit son carnet quand il est, disons, seulement « à moitié » revenu.

Mal à l’aise, le supporter se dandina sur son banc.

– Ton copain, il lui arrive de revenir… entièrement ?

– Ces temps-ci, ça s’aggrave, certains de ces interrupteurs se grippent, provoquant des courts-circuits qui grillent en passant une pelletée de souvenirs… C’est terrible parce qu’on a l’impression que la mémoire de Bachir « s’efface » peu à peu, comme une inscription à la craie sur un mur mouillé par la pluie… Prends le cas du foot, par exemple : il aurait traversé le pays entier pour ne pas rater un match de son équipe préféré. Il projetait même de vendre sa voiture pour se rendre en Afrique du Sud pour la coupe du monde. Sa mère m’a supplié de l’amener ici de temps à autre pour l’aider à se rabibocher avec sa mémoire, mais, à présent, c’est à peine s’il distingue un ballon d’une pastèque ! Et pourtant, c’est son équipe qui joue, et dans une rencontre avec l’équipe leader du pays, s’il vous plaît…

– À quoi c’est dû, ce malheur ?

– Trop compliqué à expliquer : des histoires de neurones qui se cassent la gueule et rancissent en gelée. Le médecin a dit seulement que c’est de l’Alzheimer en plus grave, une sorte de cancer de la mémoire qui ne se guérit pas, et qui risque de se transformer en démence. Le médecin affirme aussi qu’il n’a jamais vu pareille dégradation de la mémoire chez un patient aussi jeune. Ce gars-là n’a pas la trentaine, vois-tu. Le pire…

Il loucha d’un air méfiant vers son ami amnésique.

-… Quand ses blocs de mémoire ne se remettent pas dans le bon ordre, il devient une autre personne. Il y a une semaine, il m’a donné un coup de poing à faire tomber un taureau. Il s’était blessé en glissant sur des fragments de verre. Quand il est sorti de son absence, oh trente secondes pas plus, il a cru que j’étais la cause du sang qui coulait de son menton. Il ne m’avait pas reconnu, on aurait dit une bête affolée qui craignait qu’on ne la tue. On s’est mis à plusieurs pour le maîtriser. Pourtant, nous nous connaissons depuis l’enfance.

– Quelle horreur ! grogna l’autre spectateur en se penchant avec une curiosité avide sur le visage figé de l’homme dont seules les paupières battaient. Mais si tu n’as plus aucune mémoire, tu ne vaux pas mieux qu’un sac de viande !

– Il faut croire qu’on est vraiment peu de chose. Dieu tout-puissant, protège-nous de la colère du Ciel ! murmura le compagnon du malade, sans se rendre compte du paradoxe de sa prière, avant de se replonger avec soulagement dans le tumulte du match.

– Merde, s’exclama tout à coup Nourredine, il leur a accordé un coup franc !

 

***

   […… Il tâtonne contre les parois du placard dans lequel il est enfermé. Ses mains cherchent la poignée de la porte. Il aboie : je suis moi, je suis moi, comment pourrais-je être autre chose que moi. Ses ongles glissent sur les parois — trop molles pour ne pas être terrifiantes car elles semblent ressasser flegmatiquement : qui toi ? qui es-tu, toi, si tu n’as que des flocons de maintenant à ta disposition, qui fondent à peine vécus ? L’eau a plus de consistance que toi, abruti.

La porte finit par céder. Mais le cauchemar reprend de plus belle, car le placard est contenu dans un nouveau placard, guère plus grand que le premier. L’homme sans prénom geint de saisissement. Ses doigts repartent à l’assaut, inutile, comprend-t-il (en l’oubliant presque aussitôt), des nouvelles parois du présent. Il a l’impression d’être une sardine coincée dans une boite de conserve. Mais la sardine au moins a l’avantage d’être morte.

Au secours ! Dieu, aie miséricorde, restitue-moi ma putain de vie ……]

 

***

17h42

Une clameur avait soulevé une partie du stade. Les joueurs en blanc et rouge se congratulaient avec force gesticulation. L’homme s’ébroua.

– Euh… Qui… euh… a marqué ?

– On est mené un à zéro, mon vieux. Ah, Bachir, tu me reconnais à présent ?

– Quelle drôle d’idée, Nourredine ? Pourquoi vou… voudrais-tu que je ne te reconnaisse pas ? J’ou… j’oublie bien des choses, mais pas qui tu es. Ça serait le… le comble, non ?

– Ben voyons ! renvoya Nourredine à l’homme pâle aux yeux vitreux et à l’élocution pâteuse.

– La mi-temps est… est passée ?

– Pas encore… Tu n’as pas suivi le match, pas vrai ?

– J’ai un peu… dormi. J’ai passé une mauvaise nuit hier.

Nourredine fit mine de prendre au sérieux la justification de son ami. Gêné, il laissa son regard errer sur le terrain où les joueurs adverses étaient en passe d’étriller l’équipe locale. Bachir le tira par la manche de son blouson.

– Tu crois que je… je verrais Yasmine aujourd’hui ?

Une grimace s’afficha sur le visage de Nourredine. « À quelle époque croit-il qu’il se trouve ? » s’interrogea-t-il avec une consternation qu’il s’imposa de ne pas laisser percer. Prêchant le faux pour savoir le vrai, il interrogea :

– Elle t’a donné rendez-vous, n’est-ce pas ?

– Comment le pourrait-elle, avec le père qu’elle a et le patelin dans lequel nous vivons ? s’agaça Bachir. Tu racontes vraiment n’importe quoi !

Nourredine hocha la tête comme pour acquiescer. Il se racla la gorge pour dissimuler son embarras : la jolie Yasmine était déjà mariée depuis deux ans. Donc, Bachir se trouvait bloqué à au moins deux ans du jour présent. Au mieux.

– Ma mère ira demander sa main pour moi le mois prochain…

Bachir rougit de plaisir.

– Tu es le premier à qui je le révèle. N’en touche un mot à personne, elle est tellement belle, ça ferait des envieux et ça me porterait la poisse !

Nourredine sentit son cœur se fendre de tristesse : son ami n’était pas à J-2 ans, mais encore plus loin dans le passé, à J-3 ans au moins, bien avant que la demande en mariage ne soit sèchement retoquée, tant par le père que par la Yasmine en question. Depuis, la belle au cœur dur s’était trouvé un parti avantageux. Un gars de la Sécurité militaire promis à de hautes fonctions, racontait-on. C’est juste après le mariage de Yasmine, somptueux par ailleurs, que les ennuis de santé de Bachir avaient commencé. Le médecin avait refusé avec dédain de voir le moindre lien entre un simple chagrin d’amour et la dégénérescence spectaculaire des neurones de son patient. Suppositions superstitieuses, répétait-il entre ses dents.

– Eh bien félicitations !

La colère due à l’impuissance fit s’enrouer la voix de Nourredine.

– Range ton carnet, Bachir, et sors ta main de ta poche. Tu la bouges tellement sous ton manteau, on dirait que tu te branles !

– Hein, quoi ?

Bachir retira précipitamment sa main, alors qu’une sentinelle exténuée suppliait dans un repli de son cerveau que non, non, non, je t’en prie, il y a quelque chose qui cloche, un machin horriblement dangereux à se rappeler absolument, essaie de te souvenir, tu voulais te venger et…. Cette voix sanglotait, mais elle était tellement épuisée que Bachir ne ressentit qu’une espèce de gratouillis mêlé à un début de mal de tête — qui deviendrait insupportable d’ici un quart d’heure. L’ordinaire, quoi !

***

[…… Il nage dans une sorte de brume, et n’avance pas. Il nage sans effort apparemment, et pourtant c’est extraordinairement fatiguant. Il sait qu’il est vivant, puisqu’il a mal. Il voudrait ne plus avoir mal, mais alors, serait-il encore vivant ? Il n’est pas, sent-il. Il sent aussi que c’est une honte abominable, pour un être humain, d’en être réduit à cette sensation de se trouver au bord d’un précipice vous entourant de tous côtés, ce présent de merde qui ne peut pas avoir ni passé ni futur, plus stérile qu’une femme sans vagin …… ] […… Une envie de violence, de se venger… Il s’étranglerait, s’il le pouvait…. Il pense : si j’oublie tout le temps, alors le temps finira par m’oublier……] […… Qu’est-ce qu’il m’a dit, ce foutu imam ?… Lis ton carnet……]

 

***

17h47

– Nourredine ?

Bachir se tordit les mains.

– Qu’est-ce que j’ai fait à Dieu ? Pourquoi s’est-elle mariée avec un autre que moi ? Je l’aimais comme un fou. Personne ne saura l’aimer autant que moi.

Nourredine sursauta : le Bachir avec cette ride pathétique au front était revenu de son incursion dans le passé. Il rectifia l’image : revenu des sables mouvants du passé. Il se lissa la moustache pour gagner du temps.

– Bah, les femmes, tu sais… Un rien les fait changer… se résigna-t-il à murmurer platement.

– Non, elle a manqué de cœur, c’est parce que je suis malade qu’elle m’a refusé. Ce n’est pas de ma faute, cette maladie : j’ai toujours cru en Dieu, je n’ai jamais fait de mal à personne, j’ai été raisonnablement bon envers les gens…

– Pourquoi mets-tu Dieu en cause? Tu as un problème au cerveau, mais ce n’est pas une raison pour en accuser Dieu. Et pourtant tu passes tes journées à la mosquée !

– Tu veux dire que Celui qui est responsable du moindre pet de vache n’est pas responsable d’avoir bousillé mon cerveau ?

Contrarié, Nourredine haussa les épaules.

– Ne blasphème pas, mon ami. C’est le destin, c’est tout. Le sort de chacun de nous est fixé pour l’éternité, avant même la création du monde, du temps et de tout ce qui s’ensuit. Dieu joue comme il veut, Il n’a pas besoin que tu commettes une faute pour te siffler un penalty, bonhomme. Et Il ne rate jamais son tir. Lis le Coran, c’est écrit dedans.

– Le Coran ? C’est quoi, le Coran ?

– Tu te moques de moi ?

– Non, je ne sais pas ce que c’est ce … comment tu dis : Co…ran ?

– Tu as perdu la mémoire à ce point ? … Au point d’oublier le… Mais nous sommes allés à l’école coranique ensemble ! Et tu t’exerces à l’apprendre depuis que tu as cette saloperie de maladie. C’est… c’est…

Nourredine tourna la tête pour vérifier que personne dans la foule ne les avait entendus. Quand il inspecta de nouveau le visage de son ami, celui-ci souriait.

– Je plaisantais, c’est tout.

Le compagnon du malade s’esclaffa nerveusement. Il chuchota :

– S’il t’entendait, cet imam avec lequel tu es comme cul et chemise à présent, il te noierait dans une mare de fatwas fortement assaisonnées à la sauce mixte GIA-Talibans. Et, maintenant, laisse-moi m’occuper de mon match. Il ne reste plus que quelques minute avant la mi-temps et nos merdeux sont menés par un à zéro. C’est l’élimination assurée si on n’égalise pas.

Le sourire de Bachir s’était figé sur ses lèvres : il l’avait oublié, l’imam ! Et Nourredine prétendait qu’il passait le plus clair de ses journées avec lui… Un grand froid descendit brutalement sur son cœur.

De nouveau, il enfourna sa main dans sa poche. La même peur le mordit aux entrailles : l’impossible engin était toujours là, monstrueusement prévisible quant à sa destination.

   Mais je ne suis pas un… Je ne peux pas être un… Je suis moi… Je ne suis pas un… Je ne peux pas avoir voulu ça… Quand est-ce que ça…

Les larmes aux yeux, il feuilleta fébrilement son carnet, trouva des listes de mots (Apraxie, aphasie, agnosie, mémoire épisodique…), son groupe sanguin, son adresse, celle de son médecin, plusieurs mentions de Yasmine — des espèces de poèmes un peu bêbêtes du type : je t’aimerai toujours, tu es mon oxygène, mon eau dans le désert —, des versets religieux, des « Suis allé au marché ce matin 22 janvier à 8h… Mangé des haricots mardi 17 mars à

13h… », des bouts de phrases incompréhensibles et, sur la dernière page, une exhortation étrange : « Ton désespoir est un espoir, alors accomplis ton devoir de musulman et le paradis t’accueillera avec la mémoire bienveillante et infinie d’Allah ». Sa gorge se noua : l’écriture n’était pas la sienne, celle-ci ressortissait presque à la calligraphie, alors que la sienne virait depuis peu à la bouillie informe.

Quelqu’un s’était permis non seulement de farfouiller dans sa cervelle de rechange, mais d’y déposer un étron de maxime religieuse à la con : qu’avait-il à faire que Dieu possède une mémoire englobant des milliards d’univers si lui-même ne disposait même pas de la mémoire de la minute précédente ?

Ce quelqu’un — cet enfoiré d’imam sans doute — avait profité d’une de ses absences pour l’enculer à l’anus de son cerveau, pas moins ! Une colère violente le fit haleter. Surpris, son voisin de droite — celui qui avait parlé avec Nourredine — le considéra avec une pointe de répugnance, avant de s’en détourner, comme s’il craignait une contagion par le regard.

« Je dois aller voir l’imam. Maintenant. Qu’il m’explique ce qui se passe…» décida-t-il, terrorisé, « avant que je ne me déconnecte à nouveau. Vite… ».

– Excuse-moi, Nourredine, je vais pisser.

– Tu sais où c’est ?

– Oui, la première sortie à droite. Juste-là.

– Bon, je te garde ta place. Profites-en pour te calmer, tu trembles comme une feuille. Eh, ne te perds pas en route, je dois te ramener chez toi. Je l’ai promis à ta mère. Elle serait capable de m’étriper, ta chère mère !

Quand Bachir passa dans les rangs en direction des toilettes, des spectateurs ronchonnèrent contre ce zigoto qui ne trouvait pas mieux que de se lever et de leur boucher la vue au moment le plus palpitant du match. Il en reconnut quelques-uns : l’aîné du boulanger, d’autres voisins de quartier, un ancien collègue de travail.

Lui eut la vision de la métamorphose de toute cette foule en un tas de viande éparpillée sur les gradins. Il se retint de ne pas vomir.

– Il y est, brama tout d’un coup la foule, on a égalisé !

 ***

17h 50

Dans les toilettes, il essaya de se défaire du paquet, mais une ceinture métallique fermée par un gros cadenas le maintenait serré contre sa poitrine. Placé sur le côté, un bouton poussoir constituait le seul relief de l’objet. Un glapissement échappa à l’homme, alors il se contraignit à uriner, sans y parvenir tant la trouille contractait les sphincters de sa vessie.

Il griffonna sur une page de son carnet : « Passant, si tu me vois sans réaction dans la rue, accompagne-moi, pour l’amour de Dieu, à la mosquée de la Miséricorde, qui se trouve rue des… » Il arracha la feuille et, se servant de l’élastique, l’appliqua sur la couverture du calepin. Son idée était stupide, mais lui restait-il le choix ?

Il n’en eut presque pas besoin, car l’absence survint à une centaine de mètres de l’édifice religieux. Un homme se proposa de l’aider et le guida effectivement jusqu’à l’entrée de la mosquée. Ne recevant aucun remerciement pour son action, il s’en alla en haussant les épaules, troublé par l’expression absolument vide du handicapé.

***

18h15

Quand Bachir revint à lui-même, l’imam lui secouait le bras avec vigueur, une note de colère et de peur dans la voix. Ils se trouvaient à l’étage, dans une petite pièce sombre semblable à un grenier. Avec angoisse, Bachir remarqua qu’il n’avait gardé aucun souvenir d’avoir emprunté des escaliers.

– Tu es fou ? Pourquoi es-tu revenu ?

– Revenu de quoi ? C’est toi, le responsable de ça ?

Bachir avait ouvert son manteau. Ses propres lèvres étaient si parcheminées qu’il lui sembla qu’on les avait recouvertes d’une croûte de sel. L’homme qui lui faisait face plissa ses yeux d’incompréhension.

– Ne te fiche pas de moi, Bachir. Je t’ai aidé ce matin à mettre la ceinture de la foi, puis nous avons accompli ensemble la prière de l’adieu. En aucun cas, tu ne devais retourner à la mosquée…

– De quoi parles-tu, imam ? Jamais je n’ai eu l’intention de…

– Ton objectif consistait à t’approcher des gendarmes à la fin du match…

L’ancien délinquant devenu imam postillonnait de fureur. Âgé d’au plus vingt-cinq ans, il avait laissé pousser sa barbe, soigneusement teinte au henné, dans le but de se vieillir. Mais la componction de son attitude détonait parfois avec certains tics plus juvéniles, comme celui de se mordiller l’intérieur des joues ou de se gratter le bout du nez avec vigueur.

– Ne me dis pas que tu as abandonné ta mission ? Un mois de travail et de prière… C’est toi-même qui es venu m’entretenir de ton désespoir, de ta tête qui pourrissait si vite, des gens qui se moquaient de toi, de cette femme qui t’a trahi… Je t’ai écouté comme on écoute un frère dans le malheur et j’ai souffert avec toi. Je t’ai réappris à lire le livre saint, à te débarrasser peu à peu de la saleté qui encrassait ton âme. On a pleuré ensemble, souviens-toi. Alors j’ai fini par te demander si tu étais prêt à conclure ta vie d’une façon qui te grandirait et rachèterait ton actuelle abjection… Afin que tu serves enfin un but qui te dépasse, au lieu de subsister plus stupidement qu’un vers de terre… Servir Dieu et son honneur, voilà un noble objectif qui ne ferait plus rire personne, qui t’attirerait au contraire la vénération des hommes pieux du présent et du futur… Tu as répondu oui tout de suite, j’ai tergiversé afin d’être sûr de ta résolution, tu as redit oui, je t’ai admiré pour l’intensité de ta foi… J’ai pris des risques, je me suis mis en rapport avec les frères de la montagne… Et puis, ce matin, tu t’es préparé pour rencontrer ton Seigneur…

Il tapa sur sa cuisse d’incrédulité.

– D’accord, tu es malade, mais c’est impossible que tu aies passé l’éponge sur tout ça ! Tu me suppliais d’accélérer les choses, tu me serinais que tu haïssais les militaires qui avaient asservi notre nation, que ton âme brûlait de les châtier… La preuve, tu m’as même prié d’écrire quelque chose sur ton carnet. Feuillète-le, et tu t’apercevras que je ne mens pas.

-Bachir, tu me fais marcher ? Tu es trop honnête pour te conduire comme un salopard d’hypocrite mécréant !

– Non, cheikh, je ne me rappelle de rien. Je n’ai jamais voulu mourir, surtout pas de cette façon… Enlève-moi cette horrible chose, que Dieu te garde !

L’imam lâcha une grimace méprisante.

– Tu as fait dans ton froc au dernier moment et tu t’es fait retourner par les flics, c’est ça ? J’ai appris bien des choses en prison, et la première, c’est que, sur terre, les lâches sont plus nombreux que les héros. Alors, tu as décidé d’être du nombre des poltrons et de mériter ton destin d’escargot ?

La migraine familière commençait à forer consciencieusement son trou dans l’encéphale de Bachir. Il porta la main à sa tempe en se murmurant avec effroi qu’il fallait persuader cette petite frappe avant qu’une absence ne le désarrime à nouveau de lui-même.

– Cheikh, je ne te mens pas. Si c’est moi qui ai prononcé ce maudit oui, alors ce ne peut pas être moi. C’est ma part malade qui a accepté, pas l’autre, celle qui est encore saine. Je te le jure, au nom de ce que j’ai de plus cher. J’ai un père et une mère, ils seront malades de chagrin. Je…

Un sanglot interrompit son explication. L’air plus « instituteur » que jamais, son interlocuteur gloussa :

– Qui me prouve que ce n’est pas le contraire… ?

Les yeux ronds, Bachir s’arrêta de respirer. Patelin, comme face à un élève récalcitrant, l’imam développa :

– … Que c’est la part vertueuse en toi qui a appelé au martyr au nom de Dieu, et que c’est ta part diabolique qui se moque de moi et de toi en cet instant ? Manquer à la parole donnée au Tout-Puissant, c’est œuvrer pour Satan en personne et refuser sciemment la béatitude éternelle du paradis !

– Tu profères des insanités, imam. Donne-moi la clé du cadenas et emmène-moi plutôt à l’hôpital. Je dois avoir perdu la raison pour avoir accepté de…

– Quelle clé ? Je m’en suis débarrassé évidemment, gros balourd ! Il est normal d’avoir peur au dernier moment. Retourne au stade, et Dieu t’absoudra.

– Mais je ne veux pas retourner au stade. Je n’assassinerai personne aujourd’hui. Ni demain, d’ailleurs.

– Même si je l’avais en ma possession, je ne te donnerai pas la clé. Ça serait un péché majeur de se résigner à la mécréance qui gangrène notre bourgade. C’est trop calme par ici, la parole de Dieu doit retentir aussi dans les coins les plus reculés de notre pays. De plus, les frères de la montagne ne me pardonneraient pas de m’être joué d’eux. Eux tiennent toujours parole.

– On va tuer beaucoup de monde, cheikh… Des innocents, des enfants… Ce n’est pas possible que ça ne t’embarrasse pas plus que ça ?

– Ce n’est pas si grave que ça puisque nous parlons d’éternité : les croyants sincères, ceux qui n’ont rien à se reprocher, iront tout droit au paradis. Ils ne sont donc pas à plaindre. Les autres, les militaires et leurs suppôts, eh bien, (L’iman claqua négligemment des doigts.) tôt ou tard les flammes de la géhenne les auraient rattrapés et, par conséquent, ils ne méritent pas notre compassion.

– Tu es cinglé, cheikh ?

– Non car, moi, Dieu m’a appris à compter : que valent quelques misérables années sur cette terre devant la gloire de l’éternité ?

– Alors, que va-t-on faire ?

Abasourdi, Bachir s’étonna du ton anodin avec lequel il avait interpelé le religieux, alors que son estomac se glaçait d’épouvante. Il aurait pu tout aussi bien s’enquérir auprès de lui du menu du repas du soir !

– Mais rien, mon frère, rien.

– Comment rien ? J’étouffe de peur dans cette merde de ceinture. Tu me l’enlèves ou je me mets à crier !

– D’abord, on ne profère pas de grossièretés dans la maison sacrée. Et puis, tu ne crieras pas, car les gendarmes te prendront pour un terroriste et t’abattront sans sommations. Ils ne se fatigueront pas à démêler le vrai du faux dans tes prétendues sautes de mémoire. Non, toi et moi attendrons simplement.

– Attendre quoi ?

– … Que tu oublies de nouveau ce que tu viens de dégoiser. Avec l’aide du Miséricordieux, tu récupéreras ce que tu appelles ton ancien moi, ou ton ancienne mémoire, la dénomination importe peu. Je te raccompagnerai alors tranquillement en voiture au stade et là, comme prévu, tu accompliras ton devoir de martyr. Mais seulement quand les spectateurs commenceront à sortir, je te le répète…

– Pourquoi seulement à la fin du match? (Et Bachir s’en voulut d’être entré aussi facilement dans le jeu de la conversation urbaine du jeune homme qui se prenait pour le factotum de Dieu.)

Le prédicateur lui décocha un sourire tout en dents, qui lui restitua son âge véritable.

– Pour être imam, je n’en aime pas moins le football, mon frère, et je crève d’envie que l’équipe de notre pauvre bled soit qualifiée.

– Parce que tu es au courant du score, on dirait ?

– Un à un. Oui, j’écoute la radio comme tout le monde. Il nous suffit d’un match nul pour la qualification. Si l’explosion avait lieu avant le coup de sifflet final, le résultat serait annulé et qui sait ce qui arriverait si on rejouait le match…

– Alors ?

– Alors, attendons un message du Seigneur. Bientôt la passion du djihad te reprendra dans ses bras. Le Créateur t’aime et ne laissera pas tomber.

 

***

18h24

Bachir jeta un coup d’œil à sa montre. La migraine s’amplifiait et il sut qu’il ne tiendrait pas longtemps la barre de son cerveau. Bientôt, sa mémoire de l’instant présent détalerait de son terrier à la vitesse d’une souris découvrant un orifice libératoire dans un mur.

Il se pinça le bout de l’oreille. De toutes ses forces, il avait exploré le gouffre censé renfermer l’ensemble de ses souvenirs. En fin de compte, l’abime espéré se résumait à un local un peu à l’abandon, avec ça et là une poignée de souvenirs dérisoires pareils à ces objets sans intérêt trainant sur le plancher après un déménagement. L’un de ces souvenirs remontait à son enfance : il avait fait sous lui et son père l’avait frappé ; un autre, plus vague encore, tournait autour d’un plat de viande que sa mère lui avait spécialement préparé pour fêter son retour du service militaire. Deux images, celles-ci sensuelles, surnagèrent un moment : un camarade d’école qui lui avait touché le sexe, la culotte blanche d’une collègue en haut des marches d’escalier. Une dernière réminiscence — lui nageant dans l’eau tiède de la Méditerranée — se mêla aux précédentes, semblable à un fondu-enchaîné au cinéma. Pas plus. Et aucune qui eut le moindre lien avec l’incroyable engin appliqué contre sa poitrine. Il tenta de se rappeler le prénom de la femme qui l’avait fait tant souffrir et n’y parvint pas.

Il lutta contre la plainte qui gonflait ses poumons à les faire éclater. L’imam lui adressa un signe de tête ironique, mais d’où toute hostilité avait disparu. Un chapelet à la main, il roulait patiemment les grains de plastique tout en couvant du regard son visiteur. Dans la bouche de Bachir, un renvoi aigrelet eut le goût du café au lait matinal qu’il ne souvenait pas d’avoir bu. Son ventre gargouilla de faim et ses doigts cherchèrent instinctivement le sandwich perdu sur le chemin de la mosquée.

Comment la fin du monde pouvait-elle être à ce point banale ? La main droite de Bachir tremblait maintenant tel un animal pris au piège. Il posa tendrement la paume de l’autre main sur la première pour la calmer. Puis il toussota.

– Cheikh, un ami m’a assuré que Dieu gagnait toujours tous ses matchs.

– Drôle de manière de louer la grandeur du Roi du Ciel et de la Terre, mais, oui, je te le confirme, on peut affirmer qu’Il gagne à tous les coups, à une infinité de buts contre zéro.

– Même en cas de penalty ?

– Où vois-tu le penalty ?

– Je n’avais jamais rien fait de mal contre personne, et vois la situation où je me trouve. Ce n’est pas une faute digne d’un penalty ?

L’imam partit d’un franc éclat de rire.

– Tu as le sens de l’humour, mais tu n’es rien au regard des desseins du Ciel. Toi, une cause de penalty ? Mais, mon frère, sache-le, l’être humain est moins qu’une chiure de mouche sur le derrière d’un éléphant !

La douleur aux tempes était devenue insupportable. La « souris » avait introduit son museau dans la brèche. Ce n’était plus qu’une question de secondes avant la plongée dans le néant de l’absence. D’étranges fourmillements gagnaient ses testicules. Il devina que, d’un moment à l’autre, il ne saurait plus parler.

Une ride joyeuse barra soudain le front de Bachir. Il craignit, bien sûr, de bafouiller, mais les mots défilèrent l’un à la suite de l’autre sans se faire prier :

– Je vais quand même tenter de marquer un but contre l’infini…

Et il appuya sur le bouton poussoir. L’imam n’eut même pas le temps d’expectorer le hurlement scandalisé de son cerveau : « Pas dans la mosquée… Pas dans la… ! »

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