« Plus tard, alors que nous longions le fleuve en silence, il se tourna brusquement vers moi, empoigna mon bras, le serra si fort qu’il me fit mal. Il me fixa, le regard suppliant, jusqu’à ce que je détourne les yeux. D’une voix sourde, tout en maintenant la pression, il murmura :

– Ma femme est morte ce matin.

Je ne répondis rien parce que, sur le moment, la première pensée qui me traversa l’esprit était que son haleine empestait le whisky et le cigarillo. Et peut-être aussi parce qu’il m’avait donné l’impression de se sentir en faute. L’instant d’après, il était trop tard. De toute façon, il n’y avait rien à répondre.

Il lâcha mon bras, respira très fort plusieurs fois de suite, toussota, inspecta un instant le ciel étoilé.

– Demain, il fera beau.

– Tout à l’heure, rectifiai-je.

Il se tourna vers moi, interdit.

– C’est vrai, nous sommes le lendemain, dit-il d’une voix à peine audible. »

Michel Lambert nous fait pénétrer à nouveau dans l’univers chancelant des couples ou des compagnons de route improbables, des secrets douloureux à retardement, des derniers pas que promènent, au fil d’un poignant chant du cygne, ceux qui ne pourront plus jamais se retrouver comme avant,  dans l’illusion ou le fantasme, soudain surpris par l’éternel lendemain et sa lumière trop forte et trop blanche.

Ed. Pierre-Guillaume de Roux (06/04/2017)

» Interview de l’auteur

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