Le roman de la femme renard

Il était une fois, dans un pays si lointain qu’il avait perdu son nom durant le voyage, une forêt aux arbres bien singuliers. Au lieu de leurs feuilles habituelles, ils produisaient des pages qu’il fallait réunir dans un certain ordre pour en faire des livres. De plus, leurs troncs recelaient de larges tiroirs pour y ranger les ouvrages une fois qu’ils étaient achevés. Il s’agissait de livres merveilleux pleins d’histoires tour à tour enchanteresses ou terrifiantes, noires ou roses, avec ou sans dessins, mais dont le prix était toujours inscrit quelque part.

 

Au cœur de cette forêt magique – appelons les choses par leur nom – siégeait un vieux scribe qui avait été farfadet dans sa jeunesse, mais qui s’en était repenti. Depuis, c’est lui qui veillait en ces lieux, ramassait les feuilles et les reliait avant de les ranger dans les tiroirs prévus à cet effet. A l’automne, il avait fort à faire, d’autant que le râteau n’avait pas encore été inventé. Il priait assez souvent pour qu’on lui envoie des esclaves, mais il n’y avait personne au royaume de Dieu pour traiter ses demandes.

 

Un jour – ou peut-être une nuit – il s’avisa qu’il n’était plus seul. Il se sentait observé, épié, surveillé. Un éclair roux fuyait parfois entre les arbres. Il le saisissait au vol, du coin de l’œil, sans plus. Il décida de ne pas s’en occuper et de continuer ses petites affaires. Tous les jours, le flamboiement se rapprochait.

Le vieux scribe était alors occupé à mettre en forme une belle encyclopédie Universalis en douze volumes. Un travail exigeant et minutieux, car les feuilles étaient bien fines et bruissaient méchamment. Il en avait presque terminé, lorsqu’un brusque coup de vent les éparpilla toutes. Hirsute et affolé, Le scribe courut à droite et à gauche comme une sorcière qui aurait vu le feu prendre à son balai.

– Au secours, hurlait-il de sa petite voix de scribe, Help ! car en effet, il était bilingue.

 

C’est alors qu’une superbe femme renard fit son apparition. La moitié inférieure de son corps était bien celle d’une renarde, mais son buste – et quel buste ! – était celui d’une magnifique brune aux reflets roux et aux yeux ravageurs. Le vieux scribe en fut tout ravagé.

Par petits bonds vifs et gracieux, elle sautait sur les feuilles, s’en emparait prestement et les serrait contre sa poitrine – Vous ai-je parlé de son buste ? Oui ? Ah bon. Elle eut tôt fait de tout récupérer. Avec la même vivacité, elle entreprit de reconstituer les douze volumes et bientôt, ils étaient rangés tout au fond d’un tiroir. Pour qu’ils n’en ressortent pas de sitôt, un nain les assomma avec une taxe, mais ceci est encore une autre histoire.

 

D’émotion, le vieux scribe était tombé à la renverse. La femme renarde le releva avec précaution et l’épousseta aussi sec. Il en eût bien fait de même, mais comme elle n’était pas du tout poussiéreuse, elle se fût doutée de quelque chose. Aussi s’en abstint-il. Il se contenta de lui sourire et de lui baiser la main qu’elle avait fort blanche et obligeante.

 

Depuis ce jour et sans qu’il se fût échangé une parole entre ces deux là, on peut voir la femme renarde et le vieux scribe œuvrer ensemble au pied des arbres, tandis qu’une brise légère porte des multitudes de feuilles jusqu’à eux. On dit même qu’il y a du farfadet dans l’air puisqu’on entend parfois la voix du scribe s’élever pour chanter :

 

Les feuilles mortes se ramassent à la pelle – entre temps, en effet, la pelle avait été inventée –

Ça va plus vite pour faire d’la place aux nouvelles !

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