Bassin d’Arcachon, 1925 La route était presque impraticable, il fallait traverser le Bassin en pétroleuses, ces pinasses à moteur qui fendaient bruyamment l’eau du Bassin. Et à la période de chasse, en hiver, avec le froid, le vent et les vagues qui passaient souvent par-dessus bord, « les gros becs », comme nous les appelions, arrivaient de l’autre côté du Bassin dans un triste état. Ils étaient trempés, gelés, les cheveux en bataille, leurs couvrechefs n’étant d’aucune utilité. Les pêcheurs les extrayaient du bateau avec des palans. Ils les attachaient avec de solides cordes de chanvre autour de la taille, et, à deux ou trois, ils les hissaient avec force, han, han, en haut du débarcadère. Ces riches, que l’on n’aimait pas, geignaient comme un chien qui se blesse à une patte. Tout ce tintouin, pour atteindre, finalement et lamentablement le Cap ferret, fourbus et grincheux. On les trouvait grotesques ces gens qui venaient d’ailleurs. Pour nous, gens simples, tout nous séparait et nous repoussait. La langue bien sûr. Ici tout le monde parlait patois. L’habillement, la démarche, les gestes, le regard. Ah, le regard ! Ils ne nous regardaient pas. Nous étions observés, ce qui est différent. A la méthode du naturaliste qui étudie une espèce nouvelle. Et c’était fort désagréable…

Ed. Cairn – 05/07/2018

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